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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

çut, quatre jours après son arrivée, une lettre de cachet qui l’exiloit, pour le punir d’avoir donné la consolation de sa présence à une amie de vingt-cinq années. Je ne sais ce que je n’aurois pas fait dans ce moment pour éviter une telle douleur. Dans le même temps, madame Récamier, qui n’avoit avec la politique d’autres rapports que son intérêt courageux pour les proscrits de toutes les opinions, vint aussi me voir à Coppet, où nous nous étions déjà plusieurs fois réunies ; et, le croiroit-on ? la plus belle femme de France, une personne qui à ce titre auroit trouvé partout des défenseurs, fut exilée, parce qu’elle étoit venue dans le château d’une amie malheureuse, à cent cinquante lieues de Paris. Cette coalition de deux femmes établies sur le bord du lac de Genève parut trop redoutable au maître du monde, et il se donna le ridicule de les persécuter. Mais il avoit dit une fois : La puissance n’est jamais ridicule ; et certes il a bien mis à l’épreuve cette maxime.

Combien n’a-t-on pas vu de familles divisées par la frayeur que causoient les moindres rapports avec les exilés ! Dans le commencement de la tyrannie, quelques actes de courage se font remarquer ; mais par degrés le chagrin