Page:De Staël – La Révolution française, Tome II.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
CONSIDÉRATION

de nouveau le courage de parler de justice et de morale ! Ah ! pourquoi ne m’est-il pas permis de dire aujourd’hui : C’est à vous que j’adresse cet ouvrage, à vous, nation plus généreuse encore, depuis que la liberté a développé votre caractère et l’a dégagé de toutes ses gênes ; à vous, nation plus généreuse encore, depuis que votre front ne porte plus l’empreinte d’aucun joug ; à vous, nation plus généreuse encore, depuis que vous avez fait l’épreuve de vos forces, et que vous dictez vous-même les lois auxquelles vous obéissez ? — Ah ! que j’aurois tenu ce langage avec délices ! mon sentiment existe encore ; mais il me semble errant, il me semble en exil ; et, dans mes tristes regrets, je ne puis, ni contracter de nouveaux liens, ni reprendre, même en espérance, l’idée favorite et l’unique passion dont mon âme fut si long-temps remplie. »

Je ne sais, mais il me semble que jamais on n’a mieux exprimé ce que nous sentons tous : cet amour pour la France qui fait tant de mal à présent, tandis qu’autrefois il n’étoit point de jouissance plus noble ni plus douce.