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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Bonaparte étudia-t-il bien l’esprit du sien. Il y avoit eu, parmi les hommes supérieurs du dix-huitième siècle en France, un superbe enthousiasme pour les principes qui fondent le bonheur et la dignité de l’espèce humaine ; mais à l’abri de ce grand chêne croissoient des plantes vénéneuses, l’égoïsme et l’ironie ; et Bonaparte sut habilement se servir de ces dispositions funestes. Il tourna toutes les belles choses en ridicule, excepté la force ; et la maxime proclamée sous son règne étoit : Honte aux vaincus ! Aussi l’on ne seroit tenté de dire aux disciples de sa doctrine qu’une seule injure : Et pourtant vous n’avez pas réussi ; car tout blâme tiré du sentiment moral ne leur importeroit guère.

Il falloit cependant donner un principe de vie à ce système de dérision et d’immoralité, sur lequel se fondoit le gouvernement civil. Ces puissances négatives ne suffisoient pas pour marcher en avant, sans l’impulsion des succès militaires. L’ordre dans l’administration et dans les finances, les embellissemens des villes, la confection des canaux et des grandes routes, tout ce qu’on a pu louer enfin dans les affaires de l’intérieur, avoit pour unique base l’argent obtenu par les contributions levées sur les étran-