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CONSIDÉRATIONS

situation assurée : les hommes de toutes les classes, ruinés ou enrichis, bannis ou récompensés, se trouvoient également un à un, pour ainsi dire, entre les mains du pouvoir. Des milliers de François étoient portés sur la liste des émigrés ; d’autres milliers étoient acquéreurs de biens nationaux ; des milliers étoient proscrits comme prêtres ou comme nobles ; d’autres milliers craignoient de l’être pour leurs faits révolutionnaires. Bonaparte, qui marchoit toujours entre deux intérêts contraires, se gardoit bien de mettre un terme à ces inquiétudes par des lois fixes qui pussent faire connaître à chacun ses droits. Il rendoit à tel ou tel ses biens, à tel ou tel il les ôtoit pour toujours. Un arrêté sur la restitution des bois réduisoit l’un à la misère, l’autre retrouvoit fort au delà de ce qu’il avoit possédé. Il rendoit quelquefois les biens du père au fils, ceux du frère aîné au frère cadet, selon qu’il étoit content ou mécontent de leur attachement à sa personne. Il n’y avoit pas un François qui n’eût quelque chose à demander au gouvernement, et ce quelque chose c’étoit la vie ; car alors la faveur consistoit, non dans le frivole plaisir qu’elle peut donner, mais dans l’espérance de revoir sa patrie, et de retrouver au moins une portion de ce qu’on possédoit. Le