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CONSIDÉRATIONS

Bonaparte, le grand maître, savoit la créer, et les autres manœuvroient selon le vent que ce génie des orages avoit soufflé dans les voiles.

L’armée politique du premier consul étoit composée de transfuges des deux partis. Les royalistes lui sacrifioient leur fidélité envers les Bourbons, et les patriotes leur attachement à la liberté ; ainsi donc aucune façon de penser indépendante ne pouvoit se montrer sous son règne, car il pardonnoit plus volontiers un calcul égoïste qu’une opinion désintéressée. C’étoit par le mauvais côté du cœur humain qu’il croyoit pouvoir s’en emparer.

Bonaparte prit les Tuileries pour sa demeure, et ce fut un coup de parti que le choix de cette habitation. On avoit vu là le roi de France, les habitudes monarchiques y étoient encore présentes à tous les yeux, et il suffisoit, pour ainsi dire, de laisser faire les murs pour tout rétablir. Vers les derniers jours du dernier siècle, je vis entrer le premier consul dans le palais bâti par les rois ; et quoique Bonaparte fût bien loin encore de la magnificence qu’il a développée depuis, l’on voyoit déjà dans tout ce qui l’entouroit un empressement de se faire