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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

charlatanisme. Mais, comme il a peu lu dans sa vie, il ne soit que ce qu’il a recueilli par la conversation. Le hasard peut faire qu’il vous dise, sur un sujet quelconque, une chose très-détaillée et même très-savante, s’il a rencontré quelqu’un qui l’en ait informé la veille ; mais, l’instant d’après, on découvre qu’il ne sait pas ce que tous les gens instruits ont appris dès leur enfance. Sans doute il faut avoir beaucoup d’esprit d’un certain genre, de l’esprit d’adresse, pour déguiser ainsi son ignorance ; toutefois, il n’y a que les personnes éclairées par des études sincères et suivies, qui puissent avoir des idées vraies sur le gouvernement des peuples. La vieille doctrine de la perfidie n’a réussi à Bonaparte que parce qu’il y joignoit le prestige de la victoire. Sans cette association fatale, il n’y auroit pas deux manières de voir un tel homme.

On nous racontoit tous les soirs les séances de Bonaparte avec son comité, et ces récits auroient pu nous amuser, s’ils ne nous avoient pas profondément attristés sur le sort de la France. La servilité de l’esprit de courtisan commençoit à se développer dans les hommes qui avoient montré le plus d’âpreté révolutionnaire. Ces féroces jacobins préludoient aux rôles