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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

aucun doute la majorité des honnêtes gens, craignant le retour des jacobins, souhaitoit alors que le général Bonaparte eut l’avantage. Mon sentiment, je l’avoue, étoit fort mélangé. La lutte étant une fois engagée, une victoire momentanée des jacobins pouvoit amener des scènes sanglantes ; mais j’éprouvois néanmoins, à l’idée du triomphe de Bonaparte, une douleur que je pourrais appeler prophétique.

Un de mes amis, présent à la séance de Saint-Cloud, m’envoyoit des courriers d’heure en heure : une fois il me manda que les jacobins alloient remporter, et je me préparai à quitter de nouveau la France ; l’instant d’après j’appris que le général Bonaparte avoit triomphé, les soldats ayant dispersé la représentation nationale ; et je pleurai, non la liberté, elle n’exista jamais en France, mais l’espoir de cette liberté sans laquelle il n’y a pour ce pays que honte et malheur. Je me sentois dans cet instant une difficulté de respirer qui est devenue depuis, je crois, la maladie de tous ceux qui ont vécu sous l’autorité de Bonaparte.

On a parlé diversement de la manière dont s’est accomplie cette révolution du 18 brumaire. Ce qui importe surtout, c’est d’observer dans cette occasion les traits caractéristiques de