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CONSIDÉRATIONS

veloppe dans une grande nation tous les talens qu’exigent les circonstances.

Le 18 brumaire précisément, j’arrivai de Suisse à Paris ; et comme je changeois de chevaux, à quelques lieues de la ville, on me dit que le directeur Barras venoit de passer, retournant à sa terre de Grosbois, accompagné par des gendarmes. Les postillons racontoient les nouvelles du jour ; et cette façon populaire de les apprendre leur donnoit encore plus de vie. C’étoit la première fois, depuis la révolution, qu’on entendoit un nom propre dans toutes les bouches. Jusqu’alors on disoit : L’assemblée constituante a fait telle chose, le peuple, la convention ; maintenant, on ne parloit plus que de cet homme qui devoit se mettre à la place de tous, et rendre l’espèce humaine anonyme, en accaparant la célébrité pour lui seul, et en empêchant tout être existant de pouvoir jamais en acquérir.

Le soir même de mon arrivée, j’appris que, pendant les cinq semaines que le général Bonaparte avoit passées à Paris depuis son retour, il avoit préparé les esprits à la révolution qui venoit d’éclater. Tous les partis s’étoient offerts à lui, et il leur avoit donné de l’espoir à tous. Il avoit dit aux jacobins qu’il les préserveroit du retour de l’ancienne dynastie ; il avoit au