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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

à partir. Cet aperçu rapide et sûr des circonstances est précisément ce qui le distingue, et l’occasion ne s’est jamais offerte à lui en vain. On a beaucoup répété qu’en s’éloignant alors, il avoit déserté son armée. Sans doute, il est un genre d’exaltation désintéressée qui n’auroit pas permis à un guerrier de se séparer ainsi de ceux qui l’avoient suivi, et qu’il laissoit dans la détresse. Mais le général Bonaparte couroit de tels risques en traversant la mer couverte de vaisseaux anglois ; le dessein qui l’appeloit en France étoit en lui-même si hardi, qu’il est absurde de traiter de lâcheté son départ d’Égypte. Il ne faut pas attaquer un être de ce genre par les déclamations communes : tout homme qui a produit un grand effet sur les autres hommes doit être approfondi pour être jugé.

Un reproche d’une nature beaucoup plus grave, c’est l’absence totale d’humanité que le général Bonaparte manifesta dans sa campagne d’Égypte. Toutes les fois qu’il a trouvé quelque avantage dans la cruauté, il se l’est permise, sans que, pour cela, sa nature fût sanguinaire. Il n’a pas plus d’envie de verser le sang qu’un homme raisonnable n’a envie de dépenser de l’argent quand cela n’est pas nécessaire. ; mais ce qu’il appelle la nécessité, c’est son ambition ;