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CONSIDÉRATIONS

parmi les habitans du Midi sont capables, il déclara qu’il vouloit être chargé d’une expédition militaire. Le directoire lui proposa la descente en Angleterre ; il alla visiter les côtes ; et, reconnoissant bientôt que cette expédition étoit insensée, il revint, décidé à tenter la conquête de l’Égypte.

Bonaparte a toujours cherché à s’emparer de l’imagination des hommes, et, sous ce rapport, il sait bien comment il faut les gouverner, quand on n’est pas né sur le trône. Une invasion en Afrique, la guerre portée dans un pays presque fabuleux, l’Égypte, devoit agir sur tous les esprits. L’on pouvoit aisément persuader aux François qu’ils tireroient un grand avantage d’une telle colonie dans la Méditerranée, et qu’elle leur offriroit un jour les moyens d’attaquer les établissemens des Anglois dans l’Inde. Ces projets avoient de la grandeur, et devoient augmenter encore l’éclat du nom de Bonaparte. S’il étoit resté en France, le directoire auroit lancé contre lui, par tous les journaux dont il disposoit, des calomnies sans nombre, et terni ses exploits dans l’imagination des oisifs : Bonaparte se seroit trouvé réduit en poussière avant même que la foudre l’eût frappé. Il avoit donc raison de vouloir se faire un personnage