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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

fiantes à tous ceux qu’on lui présentoit. Êtes-vous marié ? demandoit-il à l’un des convives. Combien avez-vous d’enfans ? disoit-il à l’autre. Depuis quand êtes-vous arrivé ? Quand partez-vous ? et autres interrogations de ce genre, qui établissent la supériorité de celui qui les fait sur celui qui veut bien se laisser questionner ainsi. Il se plaisoit déjà dans l’art d’embarrasser, en disant des choses désagréables : art dont il s’est fait depuis un système, comme de toutes les manières de subjuguer les autres en les avilissant. Il avoit pourtant, à cette époque, le désir de plaire, puisqu’il renfermoit dans son esprit le projet de renverser le directoire, et de se mettre à sa place ; mais, malgré ce désir, on eût dit qu’à l’inverse du prophète, il maudissoit involontairement, quoiqu’il eût l’intention de bénir.

Je l’ai vu un jour s’approcher d’une Françoise très-connue par sa beauté, son esprit et la vivacité de ses opinions ; il se plaça tout droit devant elle comme le plus roide des généraux allemands, et lui dit : Madame, je n’aime pas que les femmes se mêlent de politique. « Vous avez raison, général, lui répondit-elle : mais dans un pays où on leur coupe la tête, il est naturel qu’elles aient envie de savoir pour-