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CONSIDÉRATIONS

ment et facilement, ainsi qu’il convient à un esprit de sa force. Il s’exprima sur mon père avec une estime sentie. C’est le seul homme, dit-il, qui ait jamais réuni la plus parfaite précision dans les calculs d’un grand financier à l’imagination d’un poète. Cet éloge me plut, parce qu’il étoit caractérisé. Le général Bonaparte, qui l’entendit, me dit aussi quelques mots obligeans sur mon père et sur moi, mais en homme qui ne s’occupe guère des individus dont il ne peut tirer parti.

Sa figure, alors maigre et pâle, étoit assez agréable ; depuis, il est engraissé, ce qui lui va très-mal : car on a besoin de croire un tel homme tourmenté par son caractère, pour tolérer un peu que ce caractère fasse tellement souffrir les autres. Comme sa stature est petite, et cependant sa taille fort longue, il étoit beaucoup mieux à cheval qu’à pied ; en tout, c’est la guerre, et seulement la guerre qui lui sied. Sa manière d’être dans la société est gênée sans timidité ; il a quelque chose de dédaigneux quand il se contient, et de vulgaire quand il se met à l’aise ; le dédain lui va mieux, aussi ne s’en fait-il pas faute.

Par une vocation naturelle pour l’état de prince, il adressoit déjà des questions insigni-