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CONSIDÉRATIONS

une chose, mais non comme un semblable. Il ne hait pas plus qu’il n’aime ; il n’y a que lui pour lui ; tout le reste des créatures sont des chiffres. La force de sa volonté consiste dans l’imperturbable calcul de son égoïsme ; c’est un habile joueur d’échecs dont le genre humain est la partie adverse qu’il se propose de faire échec et mat. Ses succès tiennent autant aux qualités qui lui manquent, qu’aux talens qu’il possède. Ni la pitié, ni l’attrait, ni la religion, ni l’attachement à une idée quelconque, ne sauroient le détourner de sa direction principale. Il est pour son intérêt ce que le juste doit être pour la vertu : si le but étoit bon, sa persévérance seroit belle.

Chaque fois que je l’entendois parler, j’étois frappée de sa supériorité : elle n’avoit pourtant aucun rapport avec celle des hommes instruits et cultivés par l’étude ou la société, tels que l’Angleterre et la France peuvent en offrir des exemples. Mais ses discours indiquoient le tact des circonstances, comme le chasseur a celui de sa proie. Quelquefois il racontoit les faits politiques et militaires de sa vie d’une façon très-intéressante ; il avoit même, dans les récits qui permettoient de la gaieté, un peu de l’imagination italienne. Cependant rien ne pouvoit