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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

naparte alors n’avoit aucune puissance ; on le croyoit même assez menacé par les soupçons ombrageux du directoire ; ainsi la crainte qu’il inspiroit n’étoit causée que par le singulier effet de sa personne sur presque tous ceux qui l’approchent. J’avois vu des hommes très-dignes de respect, j’avois vu aussi des hommes féroces : il n’y avoit rien dans l’impression que Bonaparte produisit sur moi, qui pût me rappeler ni les uns ni les autres. J’aperçus assez vite, dans les différentes occasions que j’eus de le rencontrer pendant son séjour à Paris, que son caractère ne pouvoit être défini par les mots dont nous avons coutume de nous servir ; il n’étoit ni bon, ni violent, ni doux, ni cruel, à la façon des individus à nous connus. Un tel être, n’ayant point de pareil, ne pouvoit ni ressentir, ni faire éprouver aucune sympathie : c’étoit plus ou moins qu’un homme. Sa tournure, son esprit, son langage sont empreints d’une nature étrangère ; avantage de plus pour subjuguer les François, ainsi que nous l’avons dit ailleurs.

Loin de me rassurer en voyant Bonaparte plus souvent, il m’intimidoit toujours davantage. Je sentois confusément qu’aucune émotion du cœur ne pouvoit agir sur lui. Il regarde une créature humaine comme un fait ou comme