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CONSIDÉRATIONS

celles que l’on fait sur l’ignorance. Il régnoit un ton de modération et de noblesse dans son style, qui faisoit contraste avec l’âpreté révolutionnaire des chefs civils de la France. Le guerrier parloit alors en magistrat, tandis que les magistrats s’exprimoient avec la violence militaire. Le général Bonaparte n’avoit point mis à exécution dans son armée les lois contre les émigrés. On disoit qu’il aimoit beaucoup sa femme, dont le caractère étoit plein de douceur ; on assuroit qu’il étoit sensible aux beautés d’Ossian ; on se plaisoit à lui croire toutes les qualités généreuses qui donnent un beau relief aux facultés extraordinaires. On étoit d’ailleurs si fatigué des oppresseurs empruntant le nom de la liberté, et des opprimés regrettant l’arbitraire, que l’admiration ne savoit où se prendre ; et le général Bonaparte sembloit réunir tout ce qui devoit la captiver.

C’est avec ce sentiment du moins que je le vis pour la première fois à Paris. Je ne trouvai pas de paroles pour lui répondre, quand il vint à moi me dire qu’il avoit cherché mon père à Coppet, et qu’il regrettoit d’avoir passé en Suisse sans le voir. Mais lorsque je fus un peu remise du trouble de l’admiration, un sentiment de crainte très-prononcé lui succéda. Bo-