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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

attendri, puisqu’il avoit du talent, et du talent dramatique. Il s’émut à la peinture de la situation de Dupont de Nemours et de sa famille, et courut à la tribune, où il parvint à le sauver, en le faisant passer pour un homme de quatre-vingts ans, quoiqu’il en eût à peine soixante. Ce moyen déplut à l’aimable Dupont de Nemours, qui a toujours eu de grands droits à la jeunesse par son âme.

Chénier étoit un homme à la fois violent et susceptible de frayeur ; plein de préjugés, quoiqu’il fût enthousiaste de la philosophie ; inabordable au raisonnement quand on vouloit combattre ses passions, qu’il respectoit comme ses dieux pénates. Il se promenoit à grands pas dans la chambre, répondoit sans avoir écouté, pâlissoit, trembloit de colère, lorsqu’un mot qui lui déplaisoit frappoit tout seul ses oreilles, faute d’avoir la patience d’entendre le reste de la phrase. C’étoit néanmoins un homme d’esprit et d’imagination, mais tellement dominé par son amour-propre, qu’il s’étonnoit de lui-même, au lieu de travailler à se perfectionner.

Chaque jour accroissoit l’effroi des honnêtes gens. Quelques mots d’un général qui m’accusa publiquement de pitié pour les conspi-