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CONSIDÉRATIONS

en le faisant présenter à Barras par un de mes amis, et en le recommandant avec force. M. de Talleyrand avoit besoin qu’on l’aidât pour arriver au pouvoir ; mais il se passoit ensuite très-bien des autres pour s’y maintenir. Sa nomination est la seule part que j’aie eue dans la crise qui a précédé le 18 fructidor, et je croyois ainsi la prévenir ; car on pouvoit espérer que l’esprit de M. de Talleyrand amèneroit une conciliation entre les deux partis. Depuis, je n’ai pas eu le moindre rapport avec les diverses phases de sa carrière politique.

La proscription s’étendit de toutes parts après le 18 fructidor ; et cette nation, qui avoit déjà perdu sous le règne de la terreur les hommes les plus respectables, se vit encore privée de ceux qui lui restoient. On fut au moment de proscrire Dupont de Nemours, le plus chevaleresque champion de la liberté qu’il y eût en France, mais qui ne pouvoit la reconnoître dans la dispersion des représentans du peuple par la force armée. J’appris le danger qu’il couroit, et j’envoyai chercher Chénier le poëte, qui, deux ans auparavant, avoit, à ma prière, prononcé le discours auquel M. de Talleyrand dut son rappel ; Chénier, malgré tout ce qu’on peut reprocher à sa vie, étoit susceptible d’être