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CONSIDÉRATIONS

neste résolution d’envoyer des grenadiers saisir les législateurs sur leurs bancs, il n’avoit même déjà plus besoin du mal qu’il se déterminoit à faire. Le changement de ministère et les adresses des armées suffisoient pour contenir le parti royaliste, et le directoire se perdit en poussant trop loin son triomphe ; car il étoit si contraire à l’esprit d’une république, de faire agir des soldats contre les représentans du peuple, qu’on devoit ainsi la tuer, tout en voulant la sauver. La veille du jour funeste, chacun savoit qu’un grand coup alloit être frappé ; car, en France, on conspire toujours sur la place publique, ou plutôt on ne conspire pas ; on s’excite les uns les autres, et qui sait écouter ce qu’on dit saura d’avance ce qu’on va faire.

Le soir qui précéda l’entrée du général Augereau dans les conseils, la frayeur étoit telle, que la plupart des personnes connues quittèrent leurs maisons dans la crainte d’y être arrêtées. Un de mes amis me fit trouver un asile dans une petite chambre, dont la vue donnoit sur le pont Louis XVI. J’y passai la nuit à regarder les préparatifs de la terrible scène qui devoit avoir lieu dans peu d’heures ; on ne voyoit dans les rues que des soldats, tous les citoyens étoient renfermés chez eux. Les canons qu’on amenoit au-