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CONSIDÉRATIONS

à cette époque affreuse, envoyés à l’échafaud. L’une des réflexions qui nous frappoit le plus, dans nos longues promenades sur les bords du lac de Genève, c’étoit le contraste de l’admirable nature dont nous étions environnés, du soleil éclatant de la fin de juin, avec le désespoir de l’homme, de ce prince de la terre qui auroit voulu lui faire porter son propre deuil. Le découragement s’étoit emparé de nous ; plus nous étions jeunes, moins nous avions de résignation : car dans la jeunesse surtout on s’attend au bonheur, l’on croit en avoir le droit, et l’on se révolte à l’idée de ne pas l’obtenir. C’étoit pourtant dans ces momens mêmes, lorsque nous regardions en vain le ciel et les fleurs, et que nous leur reprochions d’éclairer et de parfumer l’air en présence de tant de forfaits ; c’étoit alors pourtant que se préparoit la délivrance. Un jour, dont le nom nouveau déguise peut-être la date aux étrangers, le 9 thermidor, porta dans le cœur des François une émotion de joie inexprimable. La pauvre nature humaine n’a jamais pu devoir une jouissance si vive qu’à la cessation de la douleur.