Page:De Staël – La Révolution française, Tome II.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

parole le tue, » mon émotion, ou plutôt la sienne, triompha de toute autre considération, et le jeune du Chayla fut réclamé. C’est la première fois qu’il se soit offert à moi une circonstance dans laquelle deux devoirs luttoient l’un contre l’autre avec une égale force ; mais je pense encore, comme je pensois il y a vingt-trois ans, que le danger présent de la victime devoit l’emporter sur les dangers incertains de l’avenir. Il n’y a pas, dans le court espace de l’existence, une plus grande chance de bonheur que de sauver la vie à un homme innocent ; et je ne sais comment l’on pourroit résister à cette séduction, en supposant que, dans ce cas-là, c’en soit une.

Hélas ! je ne fus pas toujours si heureuse dans mes rapports avec mes amis. Il me fallut annoncer, peu de mois après à l’homme le plus capable d’affections, et par conséquent de douleurs profondes, à M. Matthieu de Montmorency, l’arrêt de mort prononcé contre son jeune frère, l’abbé de Montmorency, dont le seul tort étoit l’illustre nom qu’il avoit reçu de ses ancêtres. Dans ce même temps, la femme, la mère et la belle-mère de M. de Montmorency étoient également menacées de périr ; encore quelques jours, et tous les prisonniers étoient,