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CONSIDÉRATIONS

rens, et l’un des hommes les plus éclairés et les plus considérés de la Suisse françoise[1]. Il me refusa d’abord, en m’opposant des motifs respectables ; il se faisoit scrupule d’altérer la vérité pour quelque objet que ce pût être ; et de plus, comme magistrat, il craignoit de compromettre son pays par un acte de faux. « Si la vérité est découverte, me disoit-il, nous n’aurons plus de droit de réclamer nos propres compatriotes qui peuvent être arrêtés en France, et j’expose ainsi l’intérêt de ceux qui me sont confiés, pour le salut d’un homme auquel je ne dois rien. » Cet argument avoit un côté très-plausible ; mais la fraude pieuse que je sollicitois pouvoit seule sauver la vie d’un homme qui avoit la hache meurtrière suspendue sur sa tête. Je restai deux heures avec M. Reverdil, cherchant à vaincre sa conscience par son humanité ; il résista long-temps : mais quand je lui répétai plusieurs fois : « Si vous dites non, un fils unique, un homme sans reproche, est assassiné dans vingt quatre heures, et votre simple

  1. M. Reverdil avoit été choisi pour présider à l’éducation du roi de Danemark. Il a écrit, pendant son séjour dans le Nord, des Mémoires d’un grand intérêt sur les événemens dont il a été témoin. Ces Mémoires n’ont pas encore paru.