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CONSIDÉRATIONS

calmer. Après un certain temps, quelques vérités ne seront plus contestées, et l’on parlera des vieilles institutions comme des anciens systèmes de physique, entièrement effacés par l’évidence des faits.

Les différentes classes de la société n’ayant presque point eu de relations entre elles en France, leur antipathie mutuelle en étoit plus forte. Il n’est aucun homme, même le plus criminel, qu’on puisse détester quand on le connoît, comme quand on se le représente. L’orgueil mettoit partout des barrières, et nulle part des limites. Dans aucun pays, les gentilshommes n’ont été aussi étrangers au reste de la nation ; ils ne touchoient à la seconde classe que pour la froisser. Ailleurs, une certaine bonhomie, des habitudes même plus vulgaires, confondent davantage les hommes, bien qu’ils soient légalement séparés ; mais l’élégance de la noblesse françoise accroissoit l’envie qu’elle inspiroit. Il étoit aussi difficile d’imiter ses manières que d’obtenir ses prérogatives. La même scène se répétoit de rang en rang ; l’irritabilité d’une nation très-vive portoit chacun à la jalousie envers son voisin, envers son supérieur, envers son maître ; et tous les individus, non contens de dominer,