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CONSIDÉRATIONS

pays, une intrigue, un hasard, une relation avec un général ou avec un ministre en faveur, peuvent suffire. De tout temps les émigrés se sont joués de l’indépendance de leur patrie ; ils la veulent, comme un jaloux sa maîtresse, morte ou fidèle ; et l’arme avec laquelle ils croient combattre les factieux s’échappe souvent de leurs mains, et frappe d’un coup mortel le pays même qu’ils prétendoient sauver.

Les nobles de France se considèrent malheureusement plutôt comme les compatriotes des nobles de tous les pays, que comme les concitoyens des François. D’après leur manière de voir, la race des anciens conquérans de l’Europe se doit mutuellement des secours d’un empire à l’autre ; mais les nations, au contraire, se sentant un tout homogène, veulent disposer de leur sort ; et, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, les peuples libres ou seulement fiers n’ont jamais supporté sans frémir l’intervention des gouvernemens étrangers dans leurs querelles intestines.

Des circonstances particulières à l’histoire de France y ont séparé les privilégiés et le tiers état d’une manière plus prononcée que dans aucun autre pays de l’Europe. L’urbanité des mœurs cachoit les divisions politiques ; mais