Page:De Staël – La Révolution française, Tome I.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
CONSIDÉRATIONS

voit le ton, et montroit sa force, qui consistait dans le vœu de la France, la noblesse de la cour fléchissoit, habituée qu’elle étoit à céder au pouvoir ; mais, dès que la crise paroissoit se calmer elle reprenoit bientôt toute son arrogance, et se mettoit à mépriser le tiers état comme dans le temps où les vilains sollicitoient leur affranchissement des seigneurs.

La noblesse de province étoit plus intraitable encore que les grands seigneurs. Ceux-ci étoient toujours assurés de leur existence : les souvenirs de l’histoire la leur garantissoient ; mais tous ces gentilshommes, dont les titres n’étoient connus que d’eux-mêmes, se voyoient en danger de perdre des distinctions qui n’imposoient plus de respect à personne. Il falloit les entendre parler de leurs rangs comme si ces rangs eussent existé avant la création du monde, quoique la date en fût très-récente. Ils considéroient leurs priviléges, qui n’étoient d’aucune utilité que pour eux-mêmes, comme le droit de propriété sur lequel se fonde la sécurité de tous. Les priviléges ne sont sacrés que quand ils servent au bien de l’état ; il faut donc raisonner pour les maintenir, et ils ne peuvent être vraiment solides que quand l’utilité publique les consacre. Mais la majorité de la noblesse ne sortoit pas de