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KANT.

L’homme lassé de ces efforts se borne-t-il à ne rien connoître que par les sens, tout sera douleur pour son âme. Aura-t-il l’idée de l’immortalité quand les avant-coureurs de la destruction sont si profondément gravés sur le visage des mortels, et que la nature vivante tombe sans cesse en poussière ? Lorsque tous les sens parlent de mourir, quel foible espoir nous entretiendroit de renaître ? Si l’on ne consultoit que les sensations, quelle idée se feroit-on de la bonté suprême ? Tant de douleurs se disputent notre vie, tant d’objets hideux déshonorent la nature, que la créature infortunée maudit cent fois l’existence avant qu’une dernière convulsion la lui ravisse. L’homme, au contraire, rejette-t-il le témoignage des sens, comment se guidera-t-il sur cette terre ? et s’il n’en croyoit qu’eux cependant, quel enthousiasme, quelle morale, quelle religion résisteroient aux assauts réitérés que leur livreroient tour à tour la douleur et le plaisir ?

La réflexion erroit dans cette incertitude immense, lorsque Kant essaya de tracer les limites des deux empires, des sens et de l’âme, de la nature extérieure et de la nature intellectuelle. La puissance de méditation et la sagesse avec