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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE

vérités primitives et l’activité spontanée dans l’àme, la conscience dans la morale, et l’idéal dans les arts. Examinons maintenant de quelle manière il a rempli ces différents buts.

À l’époque où parut la Critique de la Raison pure, il n’existoit que deux systèmes sur l’entendement humain parmi les penseurs ; l’un, celui de Locke, attribuoit toutes nos idées à nos sensations ; l’autre, celui de Descartes et de Leibnitz, s’attachoit à démontrer la spiritualité et l’activité de l’âme, le libre arbitre, enfin toute la doctrine idéaliste ; mais ces deux philosophes appuyoient leur doctrine sur des preuves purement spéculatives. J’ai exposé dans le chapitre précédent les inconvénients qui résultent de ces efforts d’abstraction qui arrêtent pour ainsi dire notre sang dans nos veines, afin que les facultés intellectuelles règnent seules en nous. La méthode algébrique, appliquée à des objets qu’on ne peut saisir par le raisonnement seul, ne laisse aucune trace durable dans l’esprit. Pendant qu’on lit ces écrits sur les hautes conceptions philosophiques, on croit les comprendre, on croit les croire, mais les arguments qui ont paru les plus convaincants échappent bientôt au souvenir.