Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
DU PERSIFLAGE, etc.

C’est en conséquence de ce système que Voltaire a pour but, dans son Histoire universelle, d’attribuer les actions vertueuses, comme les grands crimes, à des événements fortuits qui ôtent aux unes tout leur mérite et tout leur tort aux autres. En effet, s’il n’y a rien dans l’âme que ce que les sensations y ont mis, l’on ne doit plus reconnoître que deux choses réelles et durables sur la terre, la force et le bien-être, la tactique et la gastronomie ; mais si l’on fait grâce encore à l’esprit, tel que la philosophie moderne l’a formé, il sera bientôt réduit à désirer qu’un peu de nature exaltée reparoisse pour avoir au moins contre quoi s’exercer.

Les stoïciens ont souvent répété qu’il falloit braver tous les coups eu sort, et ne s’occuper que de ce qui dépend de notre âme, nos sentiments et nos pensées. La philosophie des sensations auroit un résultat tout-à-fait inverse ; ce sont nos sentiments et nos pensées dont elle nous débarrasseroit pour tourner tous nos efforts vers le bien-être matériel ; elle nous diroit : — Attachez-vous au moment présent, considérez comme des chimères tout ce qui sort du cercle des plaisirs ou des affaires de ce monde, et passez cette courte vie le mieux que vous pourrez, en soi-