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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE

gaieté infernale, car il semble écrit par un être d’une autre nature que nous, indifférent à notre sort, content de nos souffrances et riant comme un démon, ou comme un singe, des misères de cette espèce humaine avec laquelle il n’a rien de commun. Le plus grand poëte du siècle, l’auteur d’Alzire, de Tancrède, de Mérope, de Zaïre et de Brutus, méconnut dans cet écrit toutes les grandeurs morales qu’il avoit si dignement célébrées.

Quand Voltaire, comme auteur tragique, sentoit et pensoit dans le rôle d’un autre, il étoit admirable ; mais quand il reste dans le sien propre, il est persifleur et cynique. La même mobilité qui lui faisoit prendre le caractère des personnages qu’il vouloit peindre ne lui a que trop bien inspiré le langage qui dans de certains moments convenoit à celui de Voltaire.

Candide met en action cette philosophie moqueuse si indulgente en apparence, si féroce en réalité ; il présente la nature humaine sous le plus déplorable aspect, et nous offre pour toute consolation le rire sardonique qui nous affranchit de la pitié envers les autres, en nous y faisant renoncer pour nous-mêmes.