Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE

Enfin, si par hasard de tels écrits étoient composés par un Allemand dont le nom ne fût pas français, et qu’on eût autant de peine à prononcer ce nom que celui du baron dans Candide, quelle foule de plaisanteries n’en tireroit-on pas ? Et ces plaisanteries veulent toutes dire : — J’ai de la grâce et de la légèreté, tandis que vous, qui avez le malheur de penser à quelque chose, et de tenir à quelques sentiments, vous ne vous jouez pas de tout avec la même élégance et la même facilité. —

La philosophie des sensations est une des principales causes de cette frivolité. Depuis qu’on a considéré l’âme comme passive, un grand nombre de travaux philosophiques ont été dédaignés. Le jour où l’on a dit qu’il n’existoit pas de mystères dans ce monde, ou du moins qu’il ne falloit pas s’en occuper, que toutes les idées venoient par les yeux et par les oreilles, et qu’il n’y avoit de vrai que le palpable, les individus qui jouissent en parfaite santé de tous leurs sens se sont crus les véritables philosophes. On entend sans cesse dire à ceux qui ont assez d’idées pour gagner de l’argent quand ils sont pauvres, et pour le dépenser quand ils sont riches, qu’ils ont la seule philosophie raisonnable, et qu’il n’y