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LA PHIOLOSOPHIE ET LA MORALE

cer une philosophie qui attribuoit toutes nos idées à la puissance de la réflexion.

Malebranche, le premier disciple de Descartes, est un homme doué du génie de l’âme à un éminent degré : l’on s’est plu à le considérer dans le dix-huitième siècle comme un rêveur, et l’on est perdu en France quand on a la réputation de rêveur ; car elle emporte avec elle l’idée qu’on n’est utile à rien, ce qui déplaît singulièrement à tout ce qu’on appelle les gens raisonnables ; mais ce mot d’utilité est-il assez noble pour s’appliquer aux besoins de l’âme ?

Les écrivains français du dix-huitième siècle s’entendoient mieux à la liberté politique ; ceux du dix-septième à la liberté morale. Les philosophes du dix-huitième étoient des combattants ; ceux du dix-septième des solitaires. Sous un gouvernement absolu, tel que celui de Louis XIV, l’indépendance ne trouve d’asile que dans la méditation ; sous les règnes anarchiques du dernier siècle les hommes de lettres étoient animés par le désir de conquérir le gouvernement de leur pays aux principes et aux idées libérales dont l’Angleterre donnoit un si bel exemple. Les écrivains qui n’ont pas dépassé ce but sont très-dignes de l’estime de leurs concitoyens ; mais il