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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

senti le mystère de l’existence dans cet attendrissement qui réunit nos deux natures, et confond dans une même jouissance les sensations et l’âme ? Les palpitations de leur cœur ont-elles suivi le rhythme de la musique ? Une émotion pleine de charmes leur a-t-elle appris ces pleurs qui n’ont rien de personnel, ces pleurs qui ne demandent point de pitié, mais qui nous délivrent d’une souffrance inquiète excitée par le besoin d’admirer et d’aimer ?

Le goût des spectacles est universel, car la plupart des hommes ont plus d’imagination qu’ils ne croient, et ce qu’ils considèrent comme l’attrait du plaisir, comme une sorte de foiblesse qui tient encore à l’enfance, est souvent ce qu’ils ont de meilleur en eux : ils sont, en présence des fictions, vrais, naturels, émus, tandis que dans le monde, la dissimulation, le calcul et la vanité disposent de leurs paroles, de leurs sentiments et de leurs actions. Mais pensent-ils avoir senti tout ce qu’inspire une tragédie vraiment belle, ces hommes pour qui la peinture des affections les plus profondes n’est qu’une distraction amusante ? Se doutent-ils du trouble délicieux que font éprouver les passions épurées par la poésie ? Ah ! combien les fictions nous donnent de plai-