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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

l’existence seroit trop heureuse si l’on pouvoit retenir des émotions si belles ; mais c’est parce qu’elles se dissipent aisément qu’il faut s’occuper de les conserver. La poésie et les beaux-arts servent à développer dans l’homme ce bonheur d’illustre origine qui relève les cœurs abattus, et met à la place de l’inquiète satiété de la vie le sentiment habituel de l’harmonie divine dont nous et la nature faisons partie. Il n’est aucun devoir, aucun plaisir, aucun sentiment qui n’emprunte de l’enthousiasme je ne sais quel prestige d’accord avec le pur charme de la vérité.

Les hommes marchent tous au secours de leur pays quand les circonstances l’exigent ; mais s’ils sont inspirés par l’enthousiasme de leur patrie, de quel beau mouvement ne se sentent-ils pas saisis ! Le sol qui les a vus naître, la terre de leurs aïeux, la mer qui baigne les rochers[1], de longs souvenirs, une longue espérance, tout

  1. Il est aisé d’apercevoir que je tâchois, par cette phrase et par celles qui suivent, de désigner l’Angleterre ; en effet, je n’aurois pu parler de la guerre avec enthousiasme, sans me la représenter comme celle d’une nation libre combattant pour son indépendance.