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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

d’apercevoir le ridicule et de le peindre avec grâce et gaieté ; peut-être vaudroit-il mieux se refuser à ce plaisir, mais ce n’est pourtant pas là le genre de moquerie dont les suites sont le plus à craindre ; celle qui s’attache aux idées et aux sentiments est la plus funeste de toutes, car elle s’insinue dans la source des affections fortes et dévouées. L’homme a un grand empire sur l’homme, et, de tous les maux qu’il peut faire à son semblable, le plus grand peut-être est de placer le fantôme du ridicule entre les mouvements généreux et les actions qu’ils peuvent inspirer.

L’amour, le génie, le talent, la douleur même, toutes ces choses saintes sont exposées à l’ironie, et l’on ne sauroit calculer jusqu’à quel point l’empire de cette ironie peut s’étendre. Il y a quelque chose de piquant dans la méchanceté : il y a quelque chose de foible dans la bonté. L’admiration pour les grandes choses peut être déjouée par la plaisanterie ; et celui qui ne met d’importance à rien a l’air d’être au-dessus de tout : si donc l’enthousiasme ne défend pas notre cœur et notre esprit, ils se laissent prendre de toutes parts par ce dénigrement du beau qui réunit l’insolence à la gaieté.