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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

intimes, il semble qu’elle viole le dernier asile où l’on espéroit lui échapper. Il est facile cependant de reconnoîlre la sincérité de l’enthousiasme ; c’est une mélodie si pure, que le moindre désaccord en détruit tout le charme ; un mot, un accent, un regard expriment l’émotion concentrée qui répond à toute une vie. Les personnes qu’on appelle sévères dans le monde ont très-souvent en elles quelque chose d’exalté. La force qui soumet les autres peut n’être qu’un froid calcul. La force qui triomphe de soi-même est toujours inspirée par un sentiment généreux.

Loin qu’on puisse redouter les excès de l’enthousiasme, il porte peut-être en général à la tendance contemplative qui nuit à la puissance d’agir : les Allemands en sont une preuve ; aucune nation n’est plus capable de sentir et de penser ; mais quand le moment de prendre un parti est arrivé, l’étendue même des conceptions nuit à la décision de caractère. Le caractère et l’enthousiasme diffèrent à beaucoup d’égards ; il faut choisir son but par l’enthousiasme, mais l’on doit y marcher par le caractère : la pensée n’est rien sans l’enthousiasme, ni l’action sans le caractère ; l’enthousiasme est tout pour les nations