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DE L’ENTHOUSIASME.

nières, font éprouver une émotion qui triomphe de l’instinct conservateur de l’existence ; et cette jouissance est si forte, que ni les fatigues, ni les souffrances, ni les périls ne peuvent en déprendre les âmes. Quiconque a vécu de cette vie n’aime qu’elle. Le but atteint ne satisfait jamais ; c’est l’action de se risquer qui est nécessaire, c’est elle qui fait passer l’enthousiasme dans le sang ; et quoiqu’il soit plus pur au fond de l’âme, il est encore d’une noble nature lors même qu’il a pu devenir une impulsion presque physique.

On accuse souvent l’enthousiasme sincère de ce qui ne peut être reproché qu’à l’enthousiasme affecté ; plus un sentiment est beau, plus la fausse imitation de ce sentiment est odieuse. Usurper l’admiration des hommes est ce qu’il y a de plus coupable, car on tarit en eux la source des bons mouvements en les faisant rougir de les avoir éprouvés. D’ailleurs rien n’est plus pénible que les sons faux qui semblent sortir du sanctuaire même de l’âme ; la vanité peut s’emparer de tout ce qui est extérieur, il n’en résultera d’autre mal que de la prétention et de la disgrâce ; mais quand elle se met à contrefaire les sentiments les plus