Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
383
DE L’ENTHOUSIASME.

même pour but de tous ses efforts, et de n’estimer dans ce monde que la santé, l’argent et le pouvoir. Sans doute la conscience suffit pour conduire le caractère le plus froid dans la route de la vertu ; mais l’enthousiasme est à la conscience ce que l’honneur est au devoir : il y a en nous un superflu d’âme qu’il est doux de consacrer à ce qui est beau, quand ce qui est bien est accompli. Le génie et l’imagination ont aussi besoin qu’on soigne un peu leur bonheur dans ce monde ; et la loi du devoir, quelque sublime qu’elle soit, ne suffit pas pour faire goûter toutes les merveilles du cœur et de la pensée.

On ne sauroit le nier, les intérêts de la personnalité pressent l’homme de toutes parts ; il y a même dans ce qui est vulgaire une certaine jouissance dont beaucoup de gens sont très-susceptibles, et l’on retrouve souvent les traces de penchants ignobles sous l’apparence des manières les plus distinguées. Les talents supérieurs ne garantissent pas toujours de cette nature dégradée qui dispose sourdement de l’existence des hommes, et leur fait placer leur bonheur plus bas qu’eux-mêmes. L’enthousiasme seul peut contre-balancer la tendance à l’égoïsme, et c’est à ce signe divin qu’il faut reconnaître les créatnres immortelles.