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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

et cet admirable instinct de l’âme, adversaire de l’instinct physique, est inhérent à notre nature ; s’il pouvoit être acquis, il pourroit aussi se perdre ; mais il est immuable parce qu’il est inné. Il est possible de faire le mal en croyant faire le bien ; il est possible de se rendre coupable en le sachant et le voulant, mais il ne l’est pas d’admettre comme vérité une chose contradictoire, la justice de l’injustice.

L’indifférence au bien et au mal est le résultat ordinaire d’une civilisation pour ainsi dire pétrifiée, et cette indifférence est un beaucoup plus grand argument contre la conscience innée que les grossières erreurs des sauvages ; mais les hommes les plus sceptiques, s’ils sont opprimés sous quelques rapports, en appellent à la justice comme s’ils y avoient cru toute leur vie ; et lorsqu’ils sont saisis par une affection vive et qu’on la tyrannise, ils invoquent le sentiment de l’équité avec autant de force que les moralistes les plus austères. Dès qu’une flamme quelconque, celle de l’indignation ou celle de l’amour, s’empare de notre âme, elle fait reparoître en nous les caractères sacrés des lois éternelles.

Si le hasard de la naissance et de l’éducation décidoit de la moralité d’un homme, com-