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DE LA CONTEMPLATION DE LA NATURE.

Une réflexion nouvelle m’a frappée dans les écrits qui m’ont été communiqués par un homme dont l’imagination est pensive et profonde ; il compare ensemble les ruines de la nature, celles de l’art et celles de l’humanité. « Les premières, dit-il, sont philosophiques, les secondes poétiques, et les dernières mystérieuses. » Une chose bien digne de remarque en effet, c’est l’action si différente des années sur la nature, sur les ouvrages du génie et sur les créatures vivantes. Le temps n’outrage que l’homme : quand les rochers s’écroulent, quand les montagnes s’abîment dans les vallées, la terre change seulement de face ; un aspect nouveau excite dans notre esprit de nouvelles pensées, et la force vivifiante subit une métamorphose, mais non un dépérissement ; les ruines des beaux-arts parlent à l’imagination, elle reconstruit ce que le temps a fait disparoître, et jamais peut-être un chef-d’œuvre dans tout son éclat n’a pu donner l’idée de la grandeur autant que les ruines mêmes de ce chef-d’œuvre. On se représente les monuments à demi détruits, revêtus de toutes les beautés qu’on suppose toujours à ce qu’on regrette : mais qu’il est loin d’en être ainsi des ravages de la vieillesse !