l’on ne croyait pas y voir la trace de la résurrection de toutes choses, et c’est le véritable point de vue religieux de la contemplation de la nature que cette manière de la considérer. On finiroit par mourir de pitié si l’on se bornoit en tout à la terrible idée de l’irréparable : aucun animal ne périt sans qu’on puisse le regretter, aucun arbre ne tombe sans que l’idée qu’on ne le reverra plus dans sa beauté n’excite en nous une réflexion douloureuse. Enfin les objets inanimés eux-mêmes font mal quand leur décadence oblige à s’en séparer : la maison, les meubles, qui ont servi à ceux que nous ayons aimés, nous intéressent, et ces objets mêmes excitent en nous quelquefois une sorte de sympathie indépendante des souvenirs qu’ils retracent ; on regrette la forme qu’on leur a connue, comme si cette forme en faisoit des êtres qui nous ont vus vivre, et qui devoient nous voir mourir. Si le temps n’avoit pas pour antidote l’éternité, on s’attacheroit à chaque moment pour le retenir, à chaque son pour le fixer, à chaque regard pour en prolonger l’éclat, et les jouissances n’existeroient que l’instant qu’il nous faut pour sentir qu’elles passent, et pour arroser de larmes leurs traces, que l’abîme des jours doit aussi dévorer.
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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.