Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE.

d’interpréter nos devoirs ? Agrandissez ces circonstances, et vous y trouverez la cause des erreurs des peuples ; mais y a-t-il des peuples ou des hommes qui nient qu’il y ait des devoirs ? A-t-on jamais prétendu qu’aucune signification n’étoit attachée à l’idée du juste et de l’injuste ? L’explication qu’on en donne peut être diverse, mais la conviction du principe est partout la même, et c’est dans cette conviction que consiste l’empreinte primitive qu’on retrouve dans tous les humains.

Quand le sauvage tue son père lorsqu’il est vieux, il croit lui rendre un service ; il ne le fait pas pour son propre intérêt, mais pour celui de son père : l’action qu’il commet est horrible, et cependant il n’est pas pour cela dépourvu de conscience ; et, de ce qu’il manque de lumières, il ne s’ensuit pas qu’il manque de vertus. Les sensations, c’est-à-dire les objets extérieurs dont il est environné, l’aveuglent ; le sentiment intime qui constitue la haine du vice et le respect pour la vertu n’existe pas moins en lui, quoique l’expérience l’ait trompé sur la manière dont ce sentiment doit se manifester dans la vie. Préférer les autres à soi quand la vertu le commande, c’est précisément ce qui fait l’essence du beau moral,