Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

pour prouver que tout ce qui étoit dans l’âme nous venoit par les sensations. Si ces arguments conduisoient à la vérité, sans doute il faudroit surmonter la répugnance morale qu’ils inspirent ; mais on peut croire en général à cette répugnance comme à un signe infaillible de ce que l’on doit éviter. Locke vouloit démontrer que la conscience du bien et du mal n’étoit pas innée dans l’homme, et qu’il ne connoissoit le juste et l’injuste, comme le rouge et le bleu, que par l’expérience ; il a recherché avec soin, pour parvenir à ce but, tous les pays où les coutumes et les lois mettoient des crimes en honneur ; ceux où l’on se faisoit un devoir de tuer son ennemi, de mépriser le mariage, de faire mourir son père quand il étoit vieux. Il recueille attentivement tout ce que les voyageurs ont raconté des cruautés passées en usage. Qu’est-ce donc qu’un système qui inspire à un homme aussi vertueux que Locke de l’avidité pour de tels faits ?

Que ces faits soient tristes ou non, pourra-t-on dire, l’important est de savoir s’ils sont vrais. – Ils peuvent être vrais, mais que signifient-ils ? Ne savons-nous pas, d’après notre propre expérience, que les circonstances, c’est-à-dire les objets extérieurs, influent sur notre manière