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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

prenez garde de les accuser injustement : malheur à celui qui auroit repoussé une affection véritable, car ce sont les anges du ciel qui nous l’envoient, ils se sont réservé cette part dans le destin de l’homme ! Ne permettez pas à votre imagination de vous égarer. Il faut la laisser planer dans les régions des nuages ; mais il n’y a que le cœur pour juger un autre cœur ; et vous seriez bien coupable si vous méconnoissiez une amitié sincère : car la beauté de l’âme consiste dans sa généreuse confiance, et la prudence humaine est figurée par un serpent.

Il se peut toutefois qu’en expiation de quelques égarements dont vos grandes facultés ont été la cause vous soyez condamné sur cette terre à boire la coupe empoisonnée de la trahison d’un ami. S’il en est ainsi, je vous plans, la divinité même vous a plaint en vous punissant : mais ne vous révoltez pas contre ses coups ; aimez encore, bien qu’aimer ait déchiré votre cœur. Dans la solitude la plus profonde, dans l’isolement le plus cruel, il ne faut pas laisser tarir en soi la source des affections dévouées. Pendant long-temps on ne croit pas que Dieu puisse être aimé comme on