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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

Il n’est pas vrai que la religion rétrécisse l’esprit ; il l’est encore moins que la sévérité des principes religieux soit à craindre. Je ne connois qu’une sévérité redoutable pour les âmes sensibles, c’est celle des gens du monde ; ce sont eux qui ne conçoivent rien, qui n’excusent rien de ce qui est involontaire ; ils se sont fait un cœur humain à leur gré pour le juger à leur aise. On pourroit leur adresser ce qu’on disoit à messieurs de Port-Royal, qui d’ailleurs méritoient beaucoup d’admiration : — « Il vous est facile de comprendre l’homme que vous avez créé ; mais celui qui est, vous ne le connoissez pas. »

La plupart des gens du monde sont accoutumés à faire de certains dilemmes sur toutes les situations malheureuses de la vie, afin de se débarrasser le plus tôt qu’il est possible de la pitié qu’elles exigent d’eux. Il n’y a que deux partis à prendre, disent-ils, il faut qu’on soit tout un ou tout autre, il faut supporter ce qu’on ne peut empêcher, il faut se consoler de ce qui est irrévocable. Ou bien, qui veut le but, veut les moyens ; il faut tout faire pour conserver ce dont on ne peut se passer, etc., etc., et mille autres axiomes de ce genre qui ont tous la forme de