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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

pas vécu dans un cachot obscur où chaque minute étoit une douleur, où l’on n’avoit d’air que ce qu’il en falloit pour recommencer à souffrir ? La mort, selon les incrédules, doit délivrer de tout ; mais savent-ils ce qu’elle est ? savent-ils si cette mort est le néant ; et dans quel labyrinthe de terreur la réflexion sans guide ne peut-elle pas nous entraîner ?

Si un homme honnête (et les circonstances d’une vie passionnée peuvent amener ce malheur), si un homme honnête, dis-je, avoit fait un mal irréparable à un être innocent, comment, sans le secours de l’expiation religieuse, s’en consoleroit-il jamais ? Quand la victime est là dans le cercueil, à qui s’adresser, s’il n’y a pas de communication avec elle, si Dieu lui-même ne fait pas entendre aux morts les pleurs des vivants, si le souverain médiateur des hommes ne dit pas à la douleur : — C’en est assez ; — au repentir : — Vous êtes pardonné ? — On croit que le principal avantage de la religion est de réveiller les remords ; mais c’est aussi bien souvent à les apaiser qu’elle sert. Il est des âmes dans lesquelles règne le passé ; il en est que les regrets déchirent comme une active mort, et sur lesquelles le souvenir s’acharne comme un vautour ;