Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
384
LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

elle sembloit déjà craindre les plaisirs mêmes auxquels tant de succès auroient pu l’attacher. Hélas ! de quelle manière ce vague pressentiment s’est réalise ! Tout à coup les flambeaux sans nombre qui remplaçoient l’éclat du jour vont devenir des flammes dévorantes, et les plus affreuses souffrances prendront la place du luxe éclatant d’une fête. Quel contraste ! et qui pourroit se lasser d’y réfléchir ? Non jamais les grandeurs et les misères humaines n’ont été rapprochées de si près ; et notre mobile pensée, si facilement distraite des sombres menaces de l’avenir, a été frappée dans la même heure par toutes les images brillantes et terribles que la destinée sème d’ordinaire à distance sur la route du temps.

Aucun accident néanmoins n’avoit atteint celle qui ne devoit mourir que de son choix : elle étoit en sûreté, elle pouvoit renouer le fil de la vie si vertueuse qu’elle menoit depuis quinze années ; mais une de ses filles étoit encore en danger, et l’être le plus délicat et le plus timide se précipite au milieu des flammes qui feroient reculer les guerriers. Toutes les mères auroient éprouvé ce qu’elle a dû sentir ! Mais qui pourroit se croire assez de force pour l’imiter ? Qui pour-