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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

la plupart des poëtes pourroient se croire plus religieux que saint Vincent de Paul.

Mais c’est à tort que les mystiques ont été accusés de cette manière de voir ; leurs ouvrages et leur vie attestent qu’ils sont aussi réguliers dans leur conduite morale que les hommes soumis aux pratiques du culte le plus sévère : ce qu’on appelle de l’indulgence en eux, c’est la pénétration qui fait analyser la nature de l’homme, au lieu de s’en tenir à lui commander l’obéissance. Les mystiques, s’occupant toujours du fond du cœur, ont l’air de pardonner ses égarements parce qu’ils en étudient les causes.

On a souvent accusé les mystiques, et même presque tous les chrétiens, d’être portés à l’obéissance passive envers l’autorité quelle qu’elle soit, et l’on a prétendu que la soumission à la volonté de Dieu, mal comprise, conduisoit un peu trop souvent à la soumission aux volontés des hommes. Rien ne ressemble moins toutefois à la condescendance pour le pouvoir que la résignation religieuse. Sans doute elle peut consoler dans l’esclavage, mais c’est parce qu’elle donne alors à l’âme toutes les vertus de l’indépendance. Être indifférent par religion à la liberté ou à l’oppression du genre humain, ce seroit prendre la foi-