Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
322
LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME.

veulent fortement : et la prospérité même, lorsqu’ils en ont, leur vient souvent par une voie inattendue.

La doctrine de la mysticité passe pour sévère, parce qu’elle commande le détachement de soi, et que cela semble avec raison fort difficile : mais elle est dans le fait la plus douce de toutes ; elle consiste dans ce proverbe, faire de nécessité vertu : faire de nécessité vertu, dans le sens religieux, c’est attribuer à la Providence le gouvernement de ce monde, et trouver dans cette pensée une consolation intime. Les écrivains mystiques n’exigent rien au-delà de la ligne du devoir, telle que tous les hommes honnêtes l’ont tracée ; ils ne commandent point de se faire des peines à soi-même ils pensent que l’homme ne doit ni appeler sur lui la souffrance, ni s’irriter contre elle quand elle arrive.

Quel mal pourroit-il donc résulter de cette croyance qui réunit le calme du stoïcisme avec la sensibilité des chrétiens ? — Elle empêche d’aimer, dira-t-on. — Ah ! ce n’est pas l’exaltation religieuse qui refroidit l’âme : un seul intérêt de vanité a plus anéanti d’affections qu’aucun genre d’opinions austères : les déserts même de la Thébaïde n’affoiblissent pas la puissance du