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LA RELIGION ET L’ENTHOUSIASME

sante, et nous donne la vanité seule pour mobile, la vanité dont la racine est toujours venimeuse ! qu’elle est belle la religion qui consacre le monde entier à son auteur, et se sert de toutes nos facultés pour célébrer les rites saints du merveilleux univers.

Loin qu’une telle croyance interdise les lettres, ni les sciences, la théorie de toutes les idées et le secret de tous les talents lui appartiennent ; il faudroit que la nature et la divinité fussent en contradiction, si la piété sincère défendoit aux hommes de se servir de leurs facultés et de goûter les plaisirs qu’elles donnent. Il y a de la religion dans toutes les œuvres du génie ; il y a du génie dans toutes les pensées religieuses. L’esprit est d’une moins illustre origine, il sert à contester ; mais le génie est créateur. La source inépuisable des talents et des vertus, c’est ce sentiment de l’infini, qui a sa part dans toutes les actions généreuses et dans toutes les conceptions profondes.

La religion n’est rien si elle n’est pas tout, si l’existence n’en est pas remplie, si l’on n’entretient pas sans cesse dans l’âme cette foi à l’invisible, ce dévouement, cette élévation de désirs qui doivent triompher des penchants vulgaires auxquels notre nature nous expose.