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DE L’IGNORANCE, etc.

tient à la littérature et aux beaux-arts, et leur exemple prouve que, de nos jours, la culture de l’esprit conserve dans les classes indépendantes des sentiments et des principes.

La direction de la littérature et de la philosophie n’a pas été bonne en France dans la dernière partie du dix-huitième siècle ; mais si l’on peut s’exprimer ainsi, la direction de l’ignorance est encore plus redoutable ; car aucun livre ne fait du mal à celui qui les lit tous. Si les oisifs du monde, au contraire, s’occupent quelques instants, l’ouvrage qu’ils rencontrent fait événement dans leur tête, comme l’arrivée d’un étranger dans un désert ; et lorsque cet ouvrage contient des sophismes dangereux, ils n’ont point d’arguments à y opposer. La découverte de l’imprimerie est vraiment funeste pour ceux qui ne lisent qu’à demi ou par hasard ; car le savoir, comme la lance d’Argail, doit guérir les blessures qu’il a faites.

L’ignorance au milieu des raffinements de la société est le plus odieux de tous les mélanges : elle rend, à quelques égards, semblable aux gens du peuple, qui n’estiment que l’adresse et la ruse ; elle porte à ne chercher que le bien-être et les jouissances physiques, à se servir d’un peu d’esprit pour tuer beaucoup d’âmes ; à s’applaudir de