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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

il faut de la sécurité pour éprouver ces affections, gages de l’éternité, puisqu’elles nous donnent seules l’idée de ce qui ne sauroit finir.

Le jeune homme fidèle semble chaque jour préférer de nouveau celle qu’il aime ; la nature lui a donné une indépendancesSans bornes, et de long-temps du moins il ne sauroit prévoir les jours mauvais de la vie : son cheval peut le porter au bout du monde ; la guerre, dont il est épris, l’affranchit au moins momentanément des relations domestiques, et semble réduire tout l’intérêt de l’existence à la victoire ou à la mort. La terre lui appartient, tous les plaisirs lui sont offerts, nulle fatigue ne l’effraie, nulle association intime ne lui est nécessaire ; il serre la main d’un compagnon d’armes, et le lien qu’il lui faut est formé. Un temps viendra sans doute où la destinée lui révèlera ses terribles secrets ; mais il ne peut encore s’en douter. Chaque fois qu’une nouvelle génération entre en possession de son domaine, ne croit-elle pas que tous les malheurs de ses devanciers sont venus de leur foiblesse ? ne se persuade-t-elle pas qu’ils sont nés tremblants et débiles, comme on les voit maintenant ? Eh bien ! du sein même de tant d’illusions, qu’il est vertueux et sensible celui qui